
Pascal Lemoine
La connexion de Pascal Lemoine au verre débute par des urnes gravées inspirées de Breton et Éluard, intégrant mystères et vie. Évoquant un monde inachevé, ses créations jouent avec temporalité et matière, jusqu’à « Origine », mêlant techniques de fusion et interactions avec l’observateur.
Ma connivence avec le verre a débuté par la réalisation d’urnes funéraires sur lesquelles étaient gravés des palimpsestes. Doutes et interrogations s’immisçaient dans la matière, jouant aux rythmes cursifs de poèmes d’André Breton et de Paul Éluard. Sur certains de ces vases clos, était inscrit « Carpe diem » en braille. Une gravure, un silence accessible aux aveugles éclairent à l’endroit où l’on suppose la nuit. Ces quelques points en relief évoquaient la vie et le mystère de ce qui lui succède.
Les premiers cailloux qui m’ont paru jalonner ce chemin étaient Le Nœud des miroirs de Breton, le Tao Te King de Lao Tseu. Ils furent mêlés à une très forte envie de vivre ce lien particulier à l’instant que révèle le travail d’un matériau en fusion.
Les pièces sont devenues des lames, des galets ou conques, figures d’un monde inachevé qui semble contenir le temps.
Elles sont devenues des bombes tranquilles, mémoires d’un passé éruptif, d’un magma subitement pétrifié voué à une longue dissolution.
Elles sont devenues des graals, corps suspendus dans une gangue transparente et infranchissable, semblant les extraire des notions de provenance et de durée.
Puis elles deviennent « Origine ». Aucun rapport évident avec la matière qui les compose. Elles jouent l’ambiguité de ce qui était, de ce qui est et de ce qui sera.
Techniquement, ces pièces sont soufflées de verre, émaillées et bien souvent engobées de porcelaine à chaud. L’interaction entre la nature de ces matériaux, les échanges thermiques lors de leurs croisements et la poussée d’un souffle dans cette « lave » plus proche d’un minéral que d’un composé hyalin, sont autant de facteurs liés à un processus faisant corps et indissociables de ma démarche.
Plus récemment, sont apparues les lumières de sables. La matérialité de l’objet s’incarne par la genèse de la matière. Le verre est ici coulé dans du sable façonné de manière à subir une déformation lors de la poussée exercée par la coulée. La forme de l’objet dépend de sa masse, de la température du verre qui incide sur son écoulement, et de la relative résistance de la matrice. Comme on le ferait d’une pierre pour obtenir deux entités singulières, ces pièces sont parfois fendues, après refroidissement, à l’aide d’un burin. La forme contenue est ainsi libérée par la fracture.
« From » est la dernière direction donnée à mon travail. Des verres opaques, aux surfaces impactées de chaos thermiques, gisent et racontent leur histoire de matière, de feu et d’atmosphère. Le temps ne cesse de dévoiler filiations et complicités qu’entretient le verre avec l’eau, la terre, l’air et le feu.
La lumière parcourt sa surface, le traverse et le prolonge en reflet. Elle dérobe l’attention comme le fait « La flamme d’une chandelle » de Bachelard et touche à ce qu’il y a de peut-être de plus commun en nous.
La technique du verre soufflé propice à engendrer certains métamorphismes, nourrit les songes qui parcourent ce voyage entre magma, eau et vents. Un lien s’établit parfois entre l'objet et celui qui le regarde. Les surfaces abimées, chocs, craquelures, érosions et impacts divers explorent l'épiderme et sondent les profondeurs jusqu’à l’absence.